L’intrapreneuriat - un outil pour favoriser l’innovation
Benjamin Duban, ingénieur des Mines Paristech, est expert en management de l’innovation. Après six années passées à traiter de l’innovation dans l’industrie (Thales, Groupe Urgo), il fonde Stim en 2014, pour aider les entreprises à piloter scientifiquement l’innovation.
Aujourd’hui, il accompagne avec Stim les équipes de direction des plus grandes entreprises, dans tous les secteurs d’activité : Société Générale, Airbus, Accenture, Amadeus, SAP, Schneider Electric, Technip FMC…Il est, par ailleurs, très actif dans l’écosystème de l’entrepreneuriat et des nouveaux courants de management.
Cet article est une interview de Benjamin Duban parConseil & Recherche, qui l’a interrogé sur sa vision de l’intrapreneuriat et sa relation avec le management de l’innovation.
L’interview a été publiée dans Conseil & Recherche, sous le titre “Intrapreneuriat : Pourquoi le développer ? Comment l’accompagner ?"
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C&R : Quel pilotage ou management de l’innovation permet de favoriser l’intrapreneuriat ?
B.D : Posée de cette manière, la question semble supposer que l’intrapreneuriat peut être une attitude qui émergerait au sein de l’entreprise, et qui serait favorisée par des activités d’innovation.
Mon raisonnement en termes de management de l’innovation aborde plutôt la question dans l’autre sens : quels types d’innovations ou de situations d’innovation nécessitent le recours à l’intrapreneuriat pour aboutir efficacement ?
C&R : Dans cette perspective, à quels besoins l’intrapreneuriat permet-il de répondre ?
B.D : Si l’on se place du point de vue du management de l’innovation, l’intrapreneuriat peut répondre à diverses questions.
Très en amont, on peut tout d’abord l’imaginer comme une manière d’utiliser la force de proposition des collaborateurs qui adopteraient cette posture pour générer et proposer des idées. Cependant, il faut être assez réaliste sur ce que produit l’intrapreneuriat quand il est pensé de cette manière.
En effet, les innovations générées naturellement par les propositions des collaborateurs, sans guide ni stimulations particulières, renvoient très majoritairement à des formes d’innovation incrémentale voire de la simple correction de problèmes quotidiens.
Il y a donc un enjeu fort de cadrer et accompagner ces démarches, surtout si l’on souhaite développer des innovations de rupture via l’outil intrapreneurial. L’intrapreneuriat est aussi un outil efficace pour passer du stade de l’idée à une forme de « projet validé », en utilisant les approches et méthodologies entrepreneuriales.
L’enjeu est alors de donner les bons outils aux intrapreneurs pour leur permettre de rendre une idée très peu mature à l’origine compatible avec des niveaux d’incertitude acceptables dans l’entreprise (ou l’organisation plus largement).
Enfin, l’intrapreneuriat répond également à des besoins situés en aval du processus d’innovation. Le problème de l’innovation dans un grand groupe, c’est souvent la recherche de zones d’atterrissage pour certains projets qui ne trouvent pas de place dans la structure usuelle de l’entreprise.
L’avantage de l’intrapreneuriat, sur ce point, est la possibilité d’utiliser des structures vierges typées « entrepreneuriat » pour faire atterrir ces projets un peu « hors normes ».
C&R : L’intérêt de l’intrapreneuriat s’arrête-t-il là ?
B.D : Non, bien entendu ! Au-delà de ces aspects de management de l’innovation, l’intrapreneuriat impacte de nombreux volets de la vie de l’entreprise.
On peut ainsi le voir, et la liste n’est pas exhaustive, comme un outil de changement des postures des équipes vis-à-vis de l’innovation et de l’autonomie, de stimulation pour le changement des procédures internes, de détection des talents et des compétences atypiques, de (ré)engagement des collaborateurs, etc.
La liste pourrait être longue, et la conception d’un programme d’intrapreneuriat nécessite une analyse détaillée des enjeux en amont afin de s’assurer de lui donner la forme la plus appropriée.
En effet, il y a de nombreux paramètres qui vont influer fortement sur l’impact du programme (implication de la direction, organisation de la phase de génération, largeur des équipes conviées, push ou pull, etc.) qu’il convient de choisir en fonction de ce que l’on souhaite faire.
C&R : Finalement, quelles formes d’innovation l’intrapreneuriat permet-il de produire ?
B.D : En règle générale, l’intrapreneuriat est un outil particulièrement adapté pour générer en amont des idées d’innovation proches du business actuel de l’entreprise, avec des niveaux de rupture par rapport à l’existant relativement faibles.
De ce fait, l’intrapreneuriat, sauf s’il existe un pilotage suffisamment fléché, tend à produire plutôt des idées d’amélioration de l’existant, dans une logique d’innovation incrémentale. En aval, l’intrapreneuriat est un outil intéressant pour permettre à l’entreprise de développer des projets qui ont besoin d’aller vite, et/ou qui sont trop peu matures par rapport aux processus de développement des projets habituels, mais pour lesquels elle dispose néanmoins de l’essentiel des compétences en interne.
C’est aussi un « juge de paix » intéressant pour porter des projets qui n’entrent pas naturellement dans les structures existantes, comme un produit qui tomberait entre les périmètres de deux Business Units, par exemple. Ce paradoxe entre l’amont et l’aval rend particulièrement intéressant et complexe la création d’un programme de bout en bout cohérent et efficace !