3 étapes pour construire sa stratégie d’innovation (1/3) : S'aligner sur une définition d'innover

Dans des contextes des grandes transitions d’aujourd’hui, construire sa stratégie d’innovation n’est pas une mince affaire. Tout d’abord, parce que l’innovation étant une activité relativement nouvelle pour les entreprises, elle est empreinte d’un grand nombre d’idées reçues. “Il suffit de la bonne idée pour sauver l’entreprise”, cette bonne idée “tout le monde peut l’avoir", “l’innovation ça ne s’organise pas cela se stimule en faisant participer tout le monde”... Les acteurs de l’innovation sont quotidiennement confrontés à ces préjugés et il leur est difficile de distinguer le vrai du faux et d’argumenter dans ce sens.

Pire encore, que veut dire innover ? Chaque année, dans leurs objectifs de croissance, les COMEX prévoient un pourcentage dédié aux nouveaux business. Il en revient alors aux fonctions innovation (ou autres départements faisant de l’innovation) de remplir cette case. Or, il est fréquent qu’innovateurs et COMEX fassent face à un mur. Les innovateurs proposent des projets qui leur paraissent prometteurs et ils n’obtiennent pas nécessairement le soutien attendu. Les COMEX se sentent frustrés car ces projets ne correspondent pas à leurs attentes. Les chiffres parlent d’eux-même : selon une étude McKinsey, seulement 6% des dirigeants se disent satisfaits par leurs résultats d’innovation.

La bonne nouvelle, c’est que, contrairement aux idées reçues, l’innovation ça se structure. Il est possible de maximiser les chances de viser juste et de significativement faire remonter ces 6%. Dans la majorité des cas, les entreprises regorgent des atouts nécessaires - des équipes innovation compétentes et volontaires, des méthodes d’innovation qui peuvent leur permettre de délivrer, des budgets suffisants, des dirigeants qui sont conscients de la nécessité d’innover. Tout ce qui leur manque c’est une stratégie d’innovation robuste.

Cette série de 3 articles vous accompagne dans la construction de votre stratégie d’innovation en 3 étapes. Au travers de ces 3 étapes, nous vous proposons : des clés pour rétablir des attentes et un langage communs entre la direction et les équipes innovation, une compréhension plus fine de l’innovation qui vous permette de mieux dimensionner l’effort, les investissements et les compétences qui vous seront indispensables.

Elle s’inspire des meilleures pratiques des fonctions innovation chez nos clients et de nos recherches avec le CGS des Mines Paristech, laboratoire de recherche en sciences de gestion.

Bonne lecture !

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Article 1 : Commencer par tous parler le même langage - Définir innover

La démarche

Comme expliqué précédemment, innover ne veut pas dire la même chose pour tous. C’est ce que l’on appelle le problème de l’architecte. Un client demande à son architecte “faîtes-moi une belle maison”. L’architecte se retrouve alors face à un problème : “qu’est-ce qu’une belle maison ? une maison moderne ? traditionnelle ? spacieuse ?”. En innovation, c’est pareil. Il existe autant de types d’innovation et de niveaux d’efforts que de projets. Alors avant de s’embarquer dans des projets coûteux, mieux vaut s’accorder sur une chose : que veut dire innover ?

Pour remettre un peu de contexte, le verbe innover remonte au XIVe siècle. Il provient d’innovare en bas latin qui signifie “renouveler”. Originellement employé par les juristes dans le cas de l’ajout d’une clause dans un contrat déjà établi, il désigne ensuite plus généralement le fait d’introduire une nouveauté dans une chose préexistante afin de la rendre pérenne. Mais c’est au philosophe Francis Bacon que l’on doit le premier usage du mot innovation en rapport avec les sciences et les techniques. « Chaque médicament est une innovation, écrit-il, et celui qui ne s’applique pas de nouveaux remèdes doit s’attendre à de nouveaux maux ; car le temps est le plus grand corrupteur et s’il change les choses pour le pire, et que la sagesse et le conseil ne les modifient pas pour le meilleur, quelle sera la fin ? ». Dans un chapitre de ses Essais de Morale et de Politique, publiés en 1625, le philosophe démontre ainsi la nécessité d’innover pour se protéger de ce que l’on appelle aujourd’hui “disruptions”, des bouleversements sur un marché - ou effets corrupteurs du temps.

Toutefois, cette définition met en évidence deux problèmes : de nouveaux remèdes, oui, mais de quelle nature et à quel point ? Pour innover, il est possible de jouer sur deux aspects : la transformation de l’objet et celle des expertises associées. Il s’agit de la Matrice Stim.

(1) Est-ce que mon projet offre une proposition de valeur nouvelle ? Si oui, à quel point ? Cette nouvelle proposition de valeur répond-elle à des besoins existants en améliorant l’usage ou à de nouveaux besoins, laissant place à de nouveaux usages ?

(2) Est-ce que mon projet fait appel à l’expertise classique ? Ou est-ce qu’il requiert une expertise nouvelle ? Cette expertise est-elle plus ou moins éloignée de mon domaine d’expertise classique ? Il peut s’agir d’expertises techniques, technologiques ou méthodologiques, par exemple.

Dans le cas de simples améliorations, de nouveautés proches du modèle classique, on parle d’innovation incrémentale. Plus l’on repense la proposition de valeur et que l’on va chercher des expertises très nouvelles, plus l’on va chercher de l’innovation de rupture. Evidemment, innovation incrémentale et innovation de rupture ne sont pas clairement scindées et certains projets peuvent faire débats. Toutefois, l’utilisation de cette matrice permet, au moins, d’offrir une base de discussion, un langage commun entre équipes dirigeantes et opérationnelles, et au sein de ces équipes-mêmes.

matrice innovation stim

De manière assez logique, s’il n’y a de transformation ni de la proposition de valeur ni de l’expertise associée, il n’y a pas d’innovation.

Exemples

Prenons deux exemples d’innovations dans le secteur automobile : Blablacar et Waymo.

blablacar logo

Blablacar rassemble la plus large communauté de covoiturage longue distance au monde. La plateforme met en relation des conducteurs voyageant avec des places libres et des passagers se rendant dans la même direction. Ils partagent un trajet et les frais qui y sont liés.

Si cette solution est peu novatrice technologiquement (les voitures utilisées sont des voitures existantes et la plateforme digitale développée est relativement classique), elle bouleverse la proposition de valeur. Il est désormais possible de se déplacer librement en voiture, à moindre frais, sans posséder de voiture, ni nécessairement savoir conduire. Il est également possible de rentabiliser la possession d’une voiture en partageant ses trajets avec d’autres individus. La valeur proposée répond à un besoin intemporel, celui de se déplacer facilement, à bas prix. Mais elle répond aussi à de nouveaux besoins comme réduire sa consommation de CO2 (1,6 million de tonnes de CO2 économisées chaque année – soit l’équivalent des émissions générées par les transports à Paris en 1 an), faire face à l’augmentation des prix des carburants, réduire l’encombrement des villes, ou encore, sans doute, recréer du lien et de la confiance entre les français (puisqu’en 2018, seulement 33% des français affirment faire confiance aux autres contre plus de 60% dans les pays scandinaves par exemple).

Waymo

A l’inverse, si l’on prend un projet comme Waymo, le projet de voiture autonome de Google, on remarque que la rupture ne porte pas uniquement sur la proposition de valeur mais aussi sur l’expertise. La proposition de valeur est clairement novatrice puisque, cette fois, plus aucun passager n’a besoin de conduire. La voiture se conduit de manière autonome en fonction de la destination entrée dans le GPS. L’espace de la voiture est libéré de ses usages traditionnels et laisse le champ libre à d’autres expériences comme prendre son café avec d’autres utilisateurs, se faire soigner, faire ses courses, travailler avec ses collègues ou faire sa nuit (projet de recherche : Spaces on Wheels : Exploring a Driverless Future).

Du côté de l’expertise, on est bien loin de la Clio 5 ! Cartes en 3 dimensions des routes et de leurs signalisations, capteurs, intelligence artificielle et systèmes de prédiction, pour développer Waymo, Google (ou plus précisément sa filiale Alphabet) doit aller chercher des connaissances en dehors de son champ traditionnel ou de celui de l’automobile-même.

Pour réflexion, voici quelques exemples placés sur la Matrice Stim :

matric innovation stim

Avec cette matrice, vous mettez fin au problème de l’architecte. Vous rétablissez un langage clair au sein de l’entreprise : Une innovation, oui mais comment ? Sur quel axe et avec quel degré de nouveauté ?


*** Pour lire la 2ème partie du chronique, c’est par ICI

 

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